Ida Jaroschek

À MAINS NUES, IDA JAROSCHEK

© EDITIONS ALCYONE

Ida Jaroschek vit dans la région du Pic Saint Loup en Occitanie. Sous ses pas de promeneuse, sous ses pas de danseuse, elle soulève des mots qui, au terme de longs détours intérieurs, méandres et à force oubli, de sédimentation, de travail incorporé, parviennent à s’assembler pour composer le poème.

 Elle est lauréate de plusieurs prix de poésie : le Grand Prix de poésie des Ecrivains Méditerranéens en 2009 pour  à l’abri dans les nuits (édition Souffles), le Prix de Poésie de la ville de Béziers en 2012 pour  survivance de la neige (éd Encre et lumière), le Prix d’Estieugues  2014 pour aborder les lointains, le Prix des  Trouvères juré lycéens 2018 pour ici soudain (éd Henry). La brèche de l’air est paru aux éditions Encre et lumière en 2011. Elle a réalisé de nombreux livres d’artiste aux éditions PoussièreD.Toiles. Ses poèmes paraissent également dans la revue Souffles, la revue La main millénaire, la Revue Encres, la revue en ligne Recours au poème, l’anthologie annuelle des amis de l’Ecritoire d’Estieugues et les anthologies de la Voix de l’Extrême.

Sa poésie est toute entière mouvement. Pour elle, écrire est la mise en forme des traces que le corps dessine dans l’espace du monde, le corps expression poétique de soi et des autres, au contact de la nature, des éléments, des paysages…

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Dans l’infini paysage de l’être, prend chair la poésie d’Ida Jaroschek : un langage puissant et délicat, un verbe pétri de sensualité, une imagerie somptueuse, sans cesse renouvelée et néanmoins recentrée toujours sur elle-même tel un visage aux modelés multiples qui « fertilisent des territoires / steppes hallucinées traversées de vent, de mémoire ».

« Les grands fauves » de la poétesse, qu’ils s’ébrouent «  dans les champs de lumière », qu’à jamais ils « entrent dans la mer », qu’ils se tiennent « prêts à dépecer la peur » ou qu’ils courent « à l’amble de la lumière » ouvrent une « piste secrète » parmi les labyrinthes démesurés de nos émotions. Ils font cette écriture plus dense encore. Ils lui insufflent une part de mystère et une dimension d’heureuse incertitude qui nous permettent d’accéder à des provinces tapies au fond de nous-mêmes, que nous soupçonnons à peine, et qui nous rendent à la confidence de nos innocences disparues.

Dans « à mains nues », Ida Jaroschek délivre un poème sauvage dont le verbe, néanmoins jardiné, exprime sa connivence avec l’amour, avec la mort, avec l’irréductible énigme qui nous contient, nous englobe et nous féconde. En cela, la poésie d’Ida Jaroschek est « un ondoiement, l’ombre d’une flamme, un grain de terre »… Elle est aussi un grain d’or  qui, semé dans l’esprit du lecteur, n’en finit pas de dispenser son étincelante incantation, son insondable sortilège.

                                                                   Gilles Cherbut

 

TEXTES

 

Tes doigts dans mes enluminures

tu brodes le bleu à la nuit

 

à nos bouches cousues d’or

d’inextricables baisers

 

Dans les turbulences du regard

les louvoiements de la lumière

découvrent un espace

une plage peut-être, un rivage

un inconnu sauvage

l’ouvert

où voir de la mer

surgir les grands fauves

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Robe ouverte à la rivière

Haute lice de l’attente, des trames d’eau

Je cherche des mots ou bien ta bouche, ton nom

ma langue, ses fleurs indomptées, des vols incalculés

et la lumière abstenue, scandée du corps

pour sculpter ta disparition

Ta mort à croissance d’argile

ses portes, ses complots

Je porte ton silence à même la peau

sous les vêtements du jour

le réservoir inépuisable des ombres

« une haute et impraticable clarté »*

* Yves Bonnefoy

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Je m’oublie ce matin dans la partance des oiseaux

cet éblouissant vacarme

tandis que d’un impossible voyage 

tu meurs quelque part

désertée par les larmes les étreintes

ta mort tombée dans ma main comme un fruit

j’irai porter des mots aux ruisseaux

déposer nos regards mêlés sur des berges inaccessibles

et si je revenais

il me faudrait attendre le début et la fin de la neige

**

J’ai vu la mort de près, elle avait ses chevaux

Le vent dans les graminées déjà m’emportait

J’ai caché mon visage

dans les ronces, les griffures d’ombre

l’encre des barbelés, l’écorce des bouleaux

Je m’accrochais aux blanches déchirures

neige plus nue que la peau

avec ses éclats de rouge

accrocs de robes ou de coquelicots

Revers de la mort

au verso du visage, un poème

Il franchira les fossés 

Jusqu’à tes mains qui fouillent

Fouillent sans cesse la terre, la nuit, les astres

**

Tu déposes

à peine un souffle à mon épaule

le baiser des lucioles

« leur lumière si secrète, si proche de la pensée »

Elle éclaire du fond des rivières cette poussière d’or 

limon déposé au fond des artères

un scintillement à l’effacement de l’être

Ma robe prise dans le tourbillon de la nuit

abrite nos voix disparues, dissoutes dans l’obscurité

et mes grands fauves à l’assaut dévorant du désir

**

J’ai pour toi la vérité caressante

le parler cru et fleuri du désir

J’ai l’enfance

en travers des prairies, en travers des forêts

Tes mains scabreuses et délicates

touchent le ventre fuselé blanc des hirondelles

Elles soulèvent la nuit

Une petite clarté vient à moi, elle claudique

Elle serre dans ses bras un secret

Un secret sans nom, sans forme ni visage

à peine une ombre, volatile et sauvage

Nous sommes le souffle des oiseaux

dans un cœur qui s’en va

Extraits de à mains nues de Ida Jaroschek

© Editions Alcyone

 

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À MAINS NUES, IDA JAROSCHEK

EDITIONS ALCYONE

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Article de Marc WETZEL sur À MAINS NUES

 

« Nous avons vécu au fond d’une eau

 

que la lumière n’atteignait pas

 

debout dans nos voix

 

liés comme flamme

 

séparant l’onde de la nudité

 

corps-mort de mon poids

 

dans le flottement d’une parole

 

dérive et ancrage des sentiments

 

pour retenir la barque fragile, carcasse, esquif

 

jaune tremblé glissé entre les reflets où entrevoir

 

ta mort et le secret plié dans l’or des genêts » (p.82)

 

  Une poésie, donc, impressionniste (mais les impressions ne cachent pas ici qu’elles font la loi !), décousue (mais, à proportion et aussitôt recousue, comme si chaque mouvement, toujours inattendu, était la meilleure suite non du mouvement précédent, mais de son écho en nous), à la fois tragique et alerte (la probabilité, la proximité peut-être, de la mort propre, a fait fuir l’âme, mais on ne se soucie, franchement, que de la retrouver !), éthérée et méthodique (d’un côté de folles apesanteurs s’essayant à se mériter mutuellement, de l’autre un coeur des choses qui serait comme ouvert, scruté et réparé par une stricte chirurgienne cardiaque !), baroque (« J’ai une ombre d’avance sur ta mort/ mes orteils de nacre crochetés à ta boutonnière » p.77) et tendre (« Je te le dis comme vent à ton oreille/ attends, attends encore un peu » p.67) qui, toujours, comme on vient de lire, danse, énonce, s’embarque sans cesse (même sa passivité dérive, mais ne stagne jamais), en appelle partout à plus qu’elle-même (à la souffrance s’il le faut, à la mort, à la couleur jaune, et, régulièrement … à de très mystérieux grands fauves, que l’auteure semble avoir apprivoisés moins en elle que directement en eux !)    

 

   Le grand fauve, même « indolent, délié et calme » (p.31) n’est ni doux (sauf aux soins à progéniture – il ne s’abstient de violence que là où la vie ne pourrait s’en nourrir) ni patient (sauf à la chasse – il n’a la force d’attendre que là où sa ruse va vaincre) – mais il a une sorte d’innocence, qui tient à ce qu’il ne pourrait se laisser aller, être à-demi vivant, rester malade ou couché sans très bientôt disparaître. Le grand fauve ne peut se permettre d’être un seul instant moins que lui-même : il flancherait, s’étiolerait, manquerait à son propre appel, s’évanouirait plus vite que ses propres traces ! Dès qu’il ne mobilise plus tout de lui-même, il va n’être rien. C’est tout lui, ou personne. Qui ne désirerait qu’à-demi ne jouirait guère que de soi.

 

     La danse (plus encore que le chant, ou le théâtre) occupe une place singulière dans cette poésie. Bien sûr, on ne parle pas en dansant (les montagnes russes de la voix lui ou nous donneraient alors la nausée), mais justement : la danse écrit quelque chose dans l’espace qu’elle ne peut pas elle-même dire, elle le montre seulement. Mais ici on ne danse pas d’abord pour être vue (même si ce ne peut être non plus pour voir, car les yeux iraient en tous sens comme la voix, et ne fixeraient que le zigzaguant flou qu’ils se donnent), on danse pour que le corps explore utilement et agréablement l’espace. Mais c’est une exploration forcément muette, même quand la danse est virtuose. Ce que le corps dansant lit de l’espace ne s’y inscrit évidemment pas. Alors, il y a les mots pour mettre en forme ces traces d’air et de sueur, les mettre en forme de volutes, de sillages, de tourbillons, certes tous indirects, codés et extérieurs – puisque verbaux – mais soudain transmissibles. Il suffit de lire, et l’on « voit » ce que la danse pense.

 

« N’oublie pas, ce petit feu qui tremble dans ta main

 

c’est ma bouche » (p.71)

 

    Ce que cette danse pense n’est, c’est vrai, ni serein ni joyeux, ni même très confiant (d’où l’amène sobriété des textes : leur malheur n’insistera pas). Mais en retour la pensée danse, comme physiquement – et s’en donne d’admirables moyens. « J’ai vu la mort de près, elle avait ses chevaux » (p.26) : comment mieux dire qu’on cravachait vers le rien ? « Oublier tous les plis de tous les draps du monde » (p.59) : comment mieux suggérer que l’espace pur, sans relief ni revêtement, pourrait devenir (si la danse en lui est juste) habitable ? « C’est la montagne entière/ qui voudrait monter dans mes jambes » (p.60) : cette image du désir admiratif (l’altitude d’autrui inspire au moment même où son manque nous aimante) semble à la fois dire et montrer à l’amour tout ce qu’il a à savoir.

 

   Même si l’être partenaire semble ici plus invoqué qu’accessible, on ne danse jamais seul. La souffrance, peut-être, l’aura éloigné – mais l’énergie est là, qui soutient la beauté de l’autre dans son combat, et se propose, elle, en « vrai bond » (« Avant qu’on ne ferme ton visage/ que ton être tout entier s’y retire/ dernière énigme, premier faux bond/ Je déposerai monnaie d’échange/ des mots sous tes paupières » p.25) ; et même si l’autre est absent parce qu’il est mort, le deuil qu’on porte est lui-même comme une danse de soutien, un geste à sa place dans le monde qu’il a connu – et toute danse met ensemble des gestes  (« ta mort tombée dans ma main comme un fruit » p.23). Comme toute poésie vient, à son tour, « greffer à la langue » ces « essors » et « soubresauts » : rester vertical, comme un ludion d’horizon, voilà son parler.

 

   La sensibilité (pour employer un mot faible, car même son impressionnabilité a quelque chose de chorégraphique) de l’auteure est si grande, et peut-être si douloureuse (« La douleur m’arrime/ où je ne peux pas dormir » p.11, ou « cette douleur sourde muette tout autant » p.73) que parfois l’inconnu – qui n’a pas encore de visage, de traits, donc pas non plus de « cicatrices », qui n’a que des précédents indifférents – lui vaut mieux, la rassure (?), est comme préempté dans une sauvagerie qui n’aurait pas encore décidé d’elle-même. Mais Ida Jaroschek danse déjà, sans encore tout à fait savoir avec qui, et d’une danse déjà prête « à dépecer la peur » (p.24). À mains nues, en tout cas (nul ne danse ganté, ni ne voudra croire que les gants furent le premier outil !), pour palper, mais en amoureuse, les pures et premières fluidités de l‘espace et du temps, comme semblent bien le dire, respectivement, ces deux précieuses strophes :

 

« Je ne suis pas étrangère à ces flammes

 

qui ont remplacé ton visage

 

Ce fleuve sans rives qui t’emporte

 

est un lit sans lendemain » (p.41) 

 

Oui, en amoureuse, qui aura tremblé juste :

 

« Dans l’affolement des signes

 

je vois nos pensées » (p.42)

 

© Marc Wetzel

Source : revue Traversées.

 

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