De l'acide citronnier de la lune de Anna Jouy
Editions Alcyone, Collection Surya
Cet ouvrage est orné d'une encre.
Anna Jouy est née
en 1956 en Suisse romande. Elle y vit et y travaille. Elle dit elle-même de sa pratique littéraire :
Ecrire comme s'asseoir à nouveau dans
le petit ruisseau de l’enfance et ses algues qui courent vers on ne sait jamais où, avec le même vent de fraîcheur qu'il y avait dans les cheveux. Bon, avec le temps, on se rend compte que toutes les rivières sont plus belles
encore sur une mappemonde, oui. Mais c’est là que le mystère commence, la source des épuisants rapides. Ça coule toujours et encore. Ce sont des flots d’encre.
Etre de la navigation intérieure, continentale en
somme. Avec de l'eau de moraines et du glacier apéritif. Je ne désespère pas pourtant des tourbillons futurs pour me rendre suave.
Anna Jouy a écrit
et fait des mises en scène de spectacles, écrit également des chansons pour quelques musiciens. On lui doit un certain nombre d’ouvrages : romans policiers, poésie (voir sa bibliographie) ; elle a aussi collaboré à
de nombreuses revues de poésie.
N.B. Vous pouvez écouter des poèmes d'Anna Jouy en cliquant sur les flèches des fichiers MP3 en bas de page.
Quelques extraits de : De l'acide citronnier de la lune
Parler de l’arcane de vent, ce mystère qui s’exprime toujours par l’intermédiaire. Le vent parle les branches, les herbes, les vagues… Autant de langues étrangères.
Les apprendre toutes ou se laisser bercer de l’illusion de comprendre. Prendre par les pores et voir le sens fluctuant de ses messages advenir. Je me mets dans le flot, dans le courant d’air. J’ouvre les bras, pas toujours, parfois je ferme
et serre, pour une caresse sur la boule de nerfs. J’essaie alors de savoir quelle matière me forme pour n’avoir aucune douceur, aucune légèreté, aucune transparence. Le silence m’appartient, lui seul réagit
et résonne à la harpe du vent. Le souffle passe, et dedans au profond, les vibrisses de la parole se mettent en mouvement et dansent. On dirait du corail ou des algues, agités, appâtés par les circulations invisibles des éléments.
**
Je tousse les miettes du froid
Les poissons du ciel perdent leurs lisses écailles
Bleus des truites de cannes à neige
Ce sont pourtant des jours sans arêtes
Mais j’ai la gorge mouillée au bar des étincelles
Et au collet le lasso de la bise
Qui serre son écharpe sur ma voix
**
Pour le fluide blanc de tes lèvres, c'est dehors. L'intérieur n'en veut pas. Après tout, il faut bien que
les messages du havane atteignent et prient des dieux plus élevés que ceux du plafond.
Sortir. Aller tirer sur son cigare, une passe de rouille et de tanin à fond de gorge. L’encens Davidoff
bénit par tous les temps. Zino dézippe tes lèvres de buées cubaines, un voyage, un soupir. Ce sont les rituels du nuage.
L’ormeau en-dessus de ta tête décloue les cercueils
de ta bouche, que l’âme s’élève et file légère entre ses branches.
**
Tanguer n'est pas se noyer. Suivre le mouvement, adhérer au flottement et le savoir si essentiel. Y chercher une danse, une appartenance moins raide. Accepter bien
sûr que le bateau ne crée pas la mer mais que le contraire soit une évidence. Accepter qu'écrire n'est pas la parole mais ce mouvement inversé, des mots qui construisent en soi son propre navire.
S’asperger alors. Rester dans l’humidité de la coque et dire l’eau alors qu’il serait si bon, si rassurant de croire que ses mots créent l’écrit, que ses mots font le poème…dans l’écrit,
il y a une somme monstrueuse ‒ un océan ‒ de hasards réunis, frappés comme des briquets.
Anna Jouy, extraits de : De l’acide citronnier de la lune
Copyright : Editions Alcyone - Reproduction interdite sur tous supports.
DE FEUILLES QU'UNE FOIS, de Anna JOUY
Editions ALCYONE (Coll. SURYA).
Après des études à l’université de Fribourg en littérature française, latin et philologie romane, Anna Jouy (née en 1956) fonde une famille et travaille dans un centre de formation pour jeunes filles en difficulté. Elle écrit des polars, des pièces de théâtre et une comédie musicale avant de se consacrer à la poésie avec une dizaine de recueils parus entre 2009 et 2019. Dans un geste de mise en mots au plus proche du quotidien, elle tient un journal poétique en ligne (Les mots sous l’Aube). Largement engagée dans l’écriture de « brèves », formats concis d’une à deux pages qu’elle voit comme un nouveau genre émergeant avec les outils informatiques, elle confronte également son écriture à des textes de longue haleine, soucieuse d’inclure à l’invention romanesque son cheminement personnel et poétique.
« De feuilles qu’une fois »… Ce sont ces moments que l’on sait caducs aussitôt éclos, qui nous interpellent de leur fragilité, de leur banalité éphémère, qui nous étonnent puis disparaissent, nous laissant pourtant leur parfum ou leur son, une interrogation mélancolique qui, elle, ne cesse jamais de nous habiter. « De feuilles qu’une fois »... Comme l’arbre qui s’emplume, chante, avant sa prochaine nudité. Anna Jouy
TEXTES
Je suis une chasseuse de vétilles luisantes
Je respire la lueur
J’aspire l’éclat et la voltige des étincelles.
Le feu gratte l’ombre
La limaille des dieux de la maison.
Le pépiement nocturne suspend à mon arbre l’éternelle guirlande du volcan
Et j’attends chaque nuit le marteau des forgerons qui ferrent les rêves
Quand dans ma chambre, les yeux ouverts je craque encore des broutilles du jour.
*
Ce sont des orgues, les jours, ces longs tuyaux aux lèvres rouges matin et soir.
Dedans une montée d’humeurs
Je prie, je parle, je m’éteins...
J’ai encore lâché les mots, nacelles libres :
Je joue à couper les ficelles des vendeurs de chewing-gum
Il parait que là-haut un enfant plante un verger de bulles
*
Quelle heure est-il ?
Le temps, c'est du bruit qui court
J’attends sur le quai la bielle au cœur, attachée d'infortune et d'anciennes malles.
J’attends à l'embouchure des rails, à la corde des âmes qui tremble
De chevaucher l'onde à venir
C’est l’heure des manigances
Tressant des boucles autour de mon doigt.
*
Je ne bouge pas. Mon corps dissocié explore. Il n'a que les mots pour ça. Ils ont à l'intérieur d'eux l'univers qu'ils disent.
Et c'est compliqué et suffisant pour ma foi
Je ne veux pas être une femme de mots. Non.
Non, j'aurais aimé vivre chacun d'eux, sans jamais les nommer.
Mais il est donné à certains de ne pouvoir être au monde, ils sont comme moi prisonniers du langage.
Leur vie s'est implantée dans la cour des syllabes.
Pire encore, du dire silencieux de l'écrit.
*
Dans ma maison, le froid. Par les palissades, par les claires-voies, par la porte aussi qui ne se ferme plus.
Je n’accuse pas le temps d’être glacé. Il me ramène à la vive transparence des choses, la minceur du verre entre nous.
Et j’ai la divine fatigue des amateurs de grand air.
*
Ce n’est qu’un papier photos. Dessus je ne devrais faire que le portrait des fleurs, des chats et des ivrognes.
Il est rude, on ne dépose pas son visage sur des ailes de mouche.
Mais je n’ai pas les nuances des lumières. Je dois tirer le cordeau de l’encre. Sur ce papier, je ne montre que la colonie noire des fourmis de ma main.
Sur ce papier, l’impuissance des mots à d’écrire
*
Grave est le son des murs
Bas-relief des histoires
Tu vois comme le temps s’évapore
Dans la langue des hommes
Sous la meule à poussières
Le sol est couvert
Des constellations de pierre
Encore ce jour je suis sauvage
Ma mère une caverne
Et le noir sur mes épaules
Profane aussi la mort
*
Sais-tu, je porte toujours
Le sac d’éternités
Le pluriel des temps
Cette besace ronde des ventres habités
Il y a des gravures
À l’ongle de l’enfance
Et des griffes humaines
Pour dessiner
La force, le prestige, la sagaie
Parfois l’amour
Dans ce creuset rallume le ciel aux mille peintures
Sais-tu je porte toujours
La semence troglodyte des prières
Mais il faut à chaque fois
Reconstruire le mystère.
Anna jouy, extraits de De feuilles qu'une fois
©️ Editions Alcyone
All rights reserved
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DE FEUILLES QU'UNE FOIS
ANNA JOUY
17,00€ et port 04,00€
Note de lecture de Mathias Lair
Anna Jouy, De feuilles qu’une fois, éd. Alcyone, par Mathias Lair
Il y a chez Anna Jouy quelque chose de surréaliste ; dans l’invention des images. Elles ne sont plus, comme dans les poésies habituelles, allégoriques ou métaphoriques, elles sont. Intransitivement. Cependant, rien d’automatique dans son écriture, ses mots ont une fonction expressive.
« Il est donné à certains de ne pouvoir être au monde, ils sont comme moi prisonniers du langage », écrit A. J. Voilà qui va à l’encontre de la doxa selon laquelle la poésie c’est la vie, la libération et tutti quanti...
Donc : « Je ne bouge pas. Mon corps dissocié explose. Il n’a que les mots pour ça. Ils ont à l’intérieur d’eux l’univers qu’ils disent. » Un univers enclos. Serait-ce donc un corps qui parle seul, détaché de sa tête ?
Je suis une terre creuse.
Féminin singulier. L’impact d’une balle dans un mur. Il y a toujours une guerre dans mon corps.
Voilà peut-être la raison de l’inventivité de l’écriture d’A.J. Tellurique, dit-elle :
Ma patience me donne aux pierres. Je suis une borne tellurique au bord de
la route.
Cocasse parfois :
Quand la mort a ouvert pour moi son pardessus d’exhibitionniste
Voire aphoristique :
L’esprit ne vaque qu’à des salades pompons, des nuages délicats saucés
d’un peu d’orage.
Une écriture échevelée, donc. Directe, ignorante des convenances, y compris les poétiques. Ce qu’elle résume par cette belle formule : « Un accord parfait de dissonances. » Peut-être son programme poétique (s’il y en eut) tient-t-il dans ce propos :
Nous n’allons pas réfléchir. Fini le beau miroir d’un œil qui joue aux billes.
Je ramène mes saluts, d’un puits couché sous la manche.
Le poème dressé comme un miroir joli ne serait qu’une billevesée, il faut puiser au fond.
Et pour conclure ce jeu des citations que je verrais bien sans fin, son texte m’y entraîne, mais pourquoi donc ? des mots elle dit :
J’aurais aimé vivre chacun d’eux sans jamais les nommer.
Le silence serait donc la vraie libération. En attendant, reste à « jouir sous la glotte »...
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Note de lecture de Michel Host sur De l'acide citronnier de la lune d’Anna Jouy, pour Recours au poème et La cause littéraire :
« L’éclosion des poudres noires, l’incognito du poème dans les deuils de la nuit. » ̶ A. Jouy
Vers libres alternent dans ce recueil avec distiques, proses brèves et, ici ou là, éclats dans l’œil et l’oreille, des pierres lancées contre les vitres sourdes de nos maisons d’esprit, des aphorismes ou presque... C’est cela la forme D’Anna Jouy, poète née en Suisse romande, non un continuum rigoureux mais une rigoureuse et kaléidoscopique liberté d’allures, comme d’une cavale. D’emblée, des inversions logiques, des visions : « les poissons du ciel perdent leurs lisses écailles [...] Et au collet le lasso de la bise / Qui serre son écharpe sur ma voix ». Le « la » est donné. Rien ne sera comme d’habitude. Quelle parole laissera vivre le lasso-écharpe étrangleur ? L’aube est à chaque page, construite sur « un vide salutaire » réservé pour elle dans la mémoire... et pourtant Anna Jouy établit son lecteur / auditeur (on oublie trop que les poèmes peuvent aussi être lus et entendus) dans « l’inconstructible glacis de l’aube ».
Le monde physique paraît aporétique, ambigu, plongé dans ses indécisions comme dans ses certitudes paysagères. La poétesse rejoint l’espace antérieur où se parle « cette langue étrangère [qu’elle] ne connaît pas » mais dont elle éprouve les caresses liquides, « Langue de la praticité des choses, là où vivre est encore simple et de l’enfant. »
Il faut maintenant se lancer, défier les objets du monde, l’ombre, les vases et le vin... La vigneronne boira son vin de l’année, a-t-elle un autre choix ? « Mon vase penché et la main qui tremble, un peu millésime chargé de lies. » On l’entend bien : ici, le langage de l’existence concrète est autre car le « rien » nous envahit par cent ouvertures, il donne l’assaut : « ... il ne vous arrive de fait plus rien non plus. Sinon ce qu’on doit s’inventer, ce qu’on doit recréer de toutes pièces... » Pour ne pas s’estomper dans le poème absent, brouillé, et ne pas devoir s’établir dans le vide intégral, il faut tout recréer, soi-même, le décor alentour (le mot est mien)... Dès lors une méditation profonde engage le Poème, la voix, dans un creusement incessant et presque une chasse. La page, la partition sont blanches ̶ « La neige est mon enfance. ̶ et rude pourtant la tâche.
Des éléments viennent l’aide ou l’obstacle. Le vent invite à apprendre toutes les langues étrangères, et nullement au sens scolaire habituel. « La harpe du vent » creuse mon espace de vie : « J’essaie alors de savoir quelle matière me forme pour n’avoir aucune douceur, aucune légèreté, aucune transparence. » La parole peut s’instaurer : « ... les vibrisses de la parole se mettent en mouvement et dansent. » Notre monde, tout le monde, « ce monde maillé de renvois [...]... Saurons-nous l’écrire ? » La grande, la belle et signifiante poésie nous invite parfois à deux mouvements contraires : la reprendre à notre compte, donc la redire autrement, ou la mettre à bonne distance pour une travail d’observation et de dissection. Il faut aller au moyen terme. Je tente l’effort, assis entre deux chaises, dans une commode incommodité. J’ai cru, j’ai pensé, goûtant à « l’acide citronnier de la lune » ̶ car la lune est aussi un citron, n’est-ce pas ? Fière astronome, la poétesse ! ̶, nous sommes sous-tendus de nature, éternelle parturiente de nous-mêmes aussi. J’ai cru être plongé dans une lente et constante interrogation, ou, plus authentiquent, le mitraillage des questions : « Mettre l’accent sur ce ton diaphane de l’aube, la presser de me reconnaître, qu’elle me sorte de la nuit, qu’elle pèle mon obscurité, qu’elle me redéfinisse des humains et des vivants. »
À l’amoureux, à l’autre... : « M’as-tu aimée dis ? »
L’espoir du jour suivant, peut-être : « Mais aube, y es-tu ? »
Il n’y a pas de désespoir, ici, dans ces attentes et ces reprises de conscience ; de l’inquiétude, oui ; une colère discrète, une révolte tenue en laisse... L’appel au seul possible, je jour suivant, m’émeut au plus profond ̶ « Mais aube, y es-tu ? » ̶ . Nous n’avons qu’elle et sa lumière variable, puisque ni dieux ni Dieu ne sont là. Cette certitude négative et heureuse malgré tout m’est du moins apparue. Le doute fécond engendre poésie et musique avant toute chose, ensuite philosophie, pensée, tendresse, pour ce que j’ai cru comprendre, à la fin. Puis l’inéluctable qu’Ana Jouy dit ainsi, avec élégance mais sans rien dissimuler : « Il n’y a ici que de féroces langages, avec la mort dessus. » « Ici on brise grève dans le semis des granits, on jardine les abords de sa tombe, songeurs. » Parfois, l’aube elle-même n’est pas drôle : « J’ai mis ma danse dans une horloge molle. »
À la fin des fins : « Mettre un trait noir au corral des couleurs, contenir les lumières à leur séjour ̶ tout ce soleil dissipé qui veut remonter sa rivière ̶ frayer dans la nuit de sa naissance. [...] À quoi se raccrocher ? » Quelques pas encore :
« Tandis que l’aube dévisse des couloirs de la nuit
Tenir son échelle et se faire la belle.’
« Genio y figura », comme disaient les Espagnols. Le loup meurt dans sa peau. Allure et caractère. On va puis on s’en va. Reste la trace, offerte au promeneur des bois, des temps et de l’espace impartis aux humains. Méditation mouvementée. Tel le poème. ̶ Michel Host
De l'acide citronnier de la lune, Anna Jouy
Prix global en euros : 16,00€ (+ port /emballage 4,00€)
UNE ENVELOPPE SILENCIEUSE
ANNA JOUY
©️ EDITIONS ALCYONE (COLL. SURYA)
Anna Jouy est une auteure et poétesse suisse. Elle vit dans la région de Fribourg. Outre travailler à différentes mises en scène de spectacle musicaux et à la publication de quelques romans, elle aime prendre le temps et aborder le silence de la poésie. Éditée pour la première fois par Décharge en 2008 avec Ciseaux à puits, puis par les éditions de l’Atlantique, les Éditions Rhubarbe et Alcyone ainsi que par différentes revues, A. Jouy nous propose avec cet ouvrage son dixième opus.
«Avec le vent qui écrit sur moi de plus en plus, je ressemble à un facteur, une musette de lettres à l’épaule. Je ne sais ce qu’elles contiennent pour les lecteurs, leur pesant de mots d’amour, de surprise ou de peines… Ce sont des messages intimes et secrets. Curieuse pourtant, je me suis mise à écouter leur silence, qui est la forme la plus lumineuse du poème. Et mes lèvres trop bavardes, sagement elles aussi, ont soudé cette enveloppe silencieuse. Le vent seul toujours écrit.» A. Jouy
«L’Enveloppe silencieuse est assurément l’un des plus beaux recueils que nous ayons publiés jusqu’ici. La facture d’Anna Jouy est unique. Elle est de la souche des Rimbaud.»
Silvaine Arabo
TEXTES
L’écume du bruit d’ici, les feuilles, la route et ses tourments. Le voisin rase la terre gratis, misérable tyrannie de quelques fleurs. Déjà elles disparaissent, me laissant seule avec une phrase si nue qu’il faudrait la cacher.
Il ne reste pour moi que la grenaille des sons.
J’apprends à dompter le nerf de neige, mon pas comme un piano qui boÎte.
Entendre, comme on dirait comprendre…
Le jour est une lame droite qui fauche le pré.
**
Ombre assise, je laisse l’aube me fendre. Elle vient frapper à terre les silhouettes des songes.
La nuit aux bras coupés n’écrit plus de poème qu’avec les os du poisson-lune.
Ai-je vendu le repos à ces colporteurs de têtes sciées, de rognures des hommes ?
Sur la terre comme au ciel, le calligramme des éponges.
**
L’homme vient de loin
Des rizières inondées de tulipes
Des terres mouillées à la cuisse
Je suis la femme de planches, une sombre cabane tout au bout de la main
Je dors solitaire, haut plateau nomade et rare
Nouée de routes et de débris
Où l’on croise l’amour cavalier ou l’amour pèlerin
**
Mon poème vient d’enfermer la vie dans un livre
C’était une haleine, un pas de chat, la fable de l’éveil.
J’ai tiré le souffle à quatre épingles, lissé les rives de l’arbre
Le mystère semblait devoir durer, devenir dur, j’aurais pu le rompre
Mais il n’y a rien à faire, le minerai des mots ne se brise pas
Seule sa carcasse
**
Nous avons nos arbres, ce merisier, ce cyprès
Notre firmament est couvert de racines
La branche de famille
Très secouée d’oiseaux.
Nous avons nos volailles, la corneille noire, le goéland de sel
Notre terre est tendue de voiles et de maisons.
Nos nuits s’effacent au tournis des planètes
De terre, d’eau et de ciels
Je dresse l’âme sauvage
Juste avant le galop
La vie est un petit voyage où l’on est sans monture
**
Le matin je ne sais jamais quel premier mot sortira de ma bouche. Il faudra bien qu’il y en ait un. Et lui comme un conquérant ouvrira l’épopée du bruit. Le suivront quelques chevaux, des ânes, des poules et des fourmis, le poème épique d’un chat de gorge.
Que je salue, prie ou jure, c’est une armée incertaine.
Ce matin il fait froid. La petite cohorte soulève des buées de ma bouche.
Ah! cette illusion de grand discours…
**
Louer une branche, quelque chose de l’arbre où suspendre mes feuilles
Sortie d’un tronc aux seins magiciens, cassée entre le ciel et le sol
Une branche de famille huant, où se sont pendus déjà d’autres hiboux, d’autres épaules, d’autres serres
J’ai besoin de tenir mon regard au-delà, dans les strapontins spéculaires
Un saule d’argent, un érable.
Louer n’est pas posséder
Et me tenir au seuil de l’envol.
Extraits de Une enveloppe silencieuse
Anna Jouy
© Editions Alcyone
UNE ENVELOPPE SILENCIEUSE
ANNA JOUY
©️ EDITIONS ALCYONE
18,00€ + forfait port/emballage 04,00€
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