OPUS INCERTAIN, Claude Mourthé.
Editions Alcyone, Collection Surya
Copyright : Editions Alcyone
ISBN : 978-2-37405-043-0
Claude Mourthé a publié
plusieurs recueils de poèmes : Nuit demeure, Préface d’Alain Bosquet (Cherche-Midi éditeur), Voici l’homme (La Bartavelle), Engrammes et Dit plus bas (Castor Astral), ce dernier recueil
ayant reçu le Prix Apollinaire 1999. Il est également l’auteur d’une biographie de Shakespeare pour Folio Biographies (Gallimard), de deux recueils de morceaux choisis (Gallimard) et d’une nouvelle traduction des Sonnets
du même Shakespeare (Éditions de l’Atlantique, puis rééditon par les Éditions Alcyone). Claude Mourthé fut producteur de plusieurs émissions sur France-Culture.
La poésie n’est que voyages à travers le temps, les rêves, les souvenirs. Souvent à l’intérieur de soi. Elle explore les profondeurs
de l’âme, mais ce qui ressort d’elle, c’est toujours une voix, l’expression d’une douleur ou d’un émerveillement. C’est le poète qui est porteur de cette voix, sorte de guide qui conduit le lecteur
en des territoires qu’il ne connaît pas toujours. Ou qu’il croit connaître, telle Venise et sa splendeur sans cesse menacée. Mais aussi dans des scènes de la vie quotidienne, présente ou passée. En somme,
une promenade d’un bout à l’autre de notre monde terrestre, parfois si peu poétique, mais qui nous offre, si l’on y regarde de près, toutes les richesses d’une beauté à fraternellement partager.
Claude Mourthé
TEXTES
Mis à sec le poisson gît alangui sur le sable
Il ne connaîtra plus les grands espaces maritimes
dont
l’odeur d’iode flattait naguère ses ouïes
ni le bruit métallique des pas dans l’échelle des coursives
ni l’arôme prégnant d’huile et saumure émanant de la cale
Son œil exorbité ne verra pas
ces falaises d’Albion vers où le
dirigeait sa nage courageuse
mais fort heureusement son cousin à Venise
poursuivra ces ébats dans le canal menant à l’Arsenal
alors que la lagune paisible malgré crues
et autres délits
invite à voyager vers San Michele
où les morts en bon ordre
attendent de nouveaux arrivages
Cirques
Tel est notre univers humain
Il y a les baladins les clowns et les équilibristes
celui qui fait des tours de prestidigitateur
avec son chapeau claque et sa cape de soie
La vérité très
nue attend bien patiemment dans son cuvier
qu’un prince tout charmant l’emporte en son castel
Le vélocipédiste à une seule roue tourne comme un toton
puis un roulement
de tambour fait entrer sur la piste
le pachyderme obéissant L’otarie fait son numéro
Cernés de grilles les grands fauves d’Asie
pas méchants pour deux sous
s’amusent à faire peur aux tout petits enfants
dont
les ballons de baudruche s’envolent
Loin au-dessus du chapiteau une foule d’étoiles
brasse son cirque à elle
L’amour et Psyché à la Villa Carlotta
Une brume protozoaire voilà ce que l’on avait trouvé
pour envelopper
le radeau de l’éternité perpétuellement masqué
voguant à la dérive butant
sans discontinuer contre l’alpe neigeuse
Non loin d’ici Mussolini et Clara Petacci
prirent leur dernier petit déjeuner de balles 9nm
avant d’être pendus par les pieds sur la grand-place
de Milan
Le lac est une femme allongée sans aucune pudeur
ouvrant ses jambes nues à l’amour italien
dont Henri Beyle rêva
Cap au sud
Je vous dirai certes un mot de la douce Orénoque
coulant ses flots de diamant noir
par les brousses amérindiennes
Un coup de pagaie paresseux fait voguer
la pirogue froissant à son passage
les feuilles de ficus
qui ne s’en formalisent pas
À la recherche de criminels divers
le phare tournoyant d’une vedette de police
scrute l’obscure canopée où les singes un moment font silence
C’est là̀ sur ces flots fourbes que nous reconnûmes
à
l’aplomb des anciens parapets
n’avoir plus dix-sept ans
Les
danseuses nues de Matisse
elles poursuivent leur ronde
dans les salons de l’Ermitage
Leur faconde et fraicheur enivrantes
leur gaîté́ se soucient peu de la Neva gelée
étalant ses patinoires
au- delà des fenêtres plombées
Le croiseur Aurora cousin du Potemkine
Dresse là en étrange glaçon sa masse métallique
un morceau de l’Histoire
au sein même de l’eau
Pouchkine le suicidé́ troué́ d’un coup de pistolet
traîne le long de canaux vénitiens son malheureux fantôme
Jamais je n’oublierai son
regard asiatique
ni la douceur de la neige tombant en gros flocons dorés
Claude Mourthé,extraits de Opus Incertain
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Note de lecture de Martine Morillon-Carreau sur Opus incertain de Claude Mourthé (paru dans la revue Poésie/première N°71) :
On ne
présente plus Claude Mourthé : directeur-fondateur du Théâtre d'Essai de Toulouse, réalisateur de radio et télévision, animateur en particulier à France-Culture, jusqu’en 1999, de la remarquable
émission « Un livre, des voix », traducteur – entre autres œuvres – des Sonnets de Shakespeare et des Histoires comme ça de Rudyard Kipling, il est aussi romancier auteur de treize romans, essayiste et
poète. Il a d’ailleurs, à ce dernier titre, reçu le Prix Apollinaire, en 1999, pour Dit plus bas, au Castor Astral.
Ce qu’il nous dit
d’ailleurs de la poésie est à méditer précieusement : « La poésie n’est que voyages à travers le temps, les rêves, les souvenirs. […] ce qui ressort d’elle, c’est toujours
une voix, l’expression d’une douleur ou d’un émerveillement. […] En somme, une promenade d’un bout à l’autre de notre monde terrestre, parfois si peu poétique, mais qui nous offre […] toutes
les richesses d’une beauté à fraternellement partager », entre nous, humblement, « petits animaux que nous sommes nous hommes […] dans leur abri d’hiver ».
Sous l’égide épigraphe d’Emily Dickinson : « Celui-là est poète / Qui du sens ordinaire / Distille de l’étonnement », Claude Mourthé nous
invite ainsi – en cet « opus incertain », clin d’œil à l’opus incertum des maçons ou carreleurs en même temps qu’à la construction fragmentaire du recueil poétique –
à partager un « Parfum fumigène », les « buées de sueur » de « pur-sang chargés d’adrénaline », le « doux arôme des plats de volaille
/ encore empanachés de leurs plumes », jusqu’à cette « Apogée » d’une chaleureuse et humaniste humilité : « restons humbles parmi les humbles / faisons un peu de
bien autour de nous / n’oublions surtout pas d’aimer en célébrant la vie ».
Opus incertain, Claude Mourthé
15,00€ (+ forfait port et emballage : 4,00€)