LE POÈME RECOMMENCÉ, Gilles Lades
Editions Alcyone, Collection Surya
Copyright : Editions Alcyone
ISBN : 978-2-37405-039-3
Les textes sont accompagnés de la reproduction d'une encre de SIlvaine Arabo.
Gilles Lades est né en 1949 à Figeac. Professeur de Lettres jusqu’en 2011. Enfance et adolescence partagées entre la région toulousaine et le Quercy, dont les paysages marquent son imaginaire. A beaucoup voyagé en Europe, particulièrement en Italie.
Auteur de nombreux ouvrages de poésie.
Parmi ses dernières publications : Lente lumière, L’Amourier, 2001 ; Le temps désuni, Sac à mots, 2005 ; Témoins de fortune, L’Arrière-pays, 2010 ; Damier du destin,
Encres Vives, 2010 ; Au bout des pas la source, éd. Trames et La Porte, 2014 ; Chemins croisés, La Porte, 2015. Prix Froissart 1987 et Antonin Artaud 1994.
En prose, récits : Dans le chemin de buis (Le Laquet, 1998) ; Sept Solitudes (Le Laquet, 2000) ; textes de critique, études de paysages : Les vergers de la Vicomté (Tertium, 2010) ; Quercy de ciel de roche et d’eau (Tertium, 2015).
Gilles Lades fait partie des comités
de rédaction des revues Encres Vives et Friches.
TEXTES
Les cyprès brûlent doucement dans le ciel
l’été s’apaise à son plus haut
morts et vivants échangent leurs vérités
dans les galets brillent les agates
des grappes veillent sous les dernières feuilles
le tendre reproche de l’aïeule
fait germer la nouvelle âme
l’extrême soir est un orient
qui consume le chagrin
les bords du monde viennent à nous
pour exaucer l’élan d’enfance
**
Enfermé avec l’heure
qui resserre ses ombres
sur la feuille et les mots
enfermé avec les bruits disparus
charrettes appels troupeaux
enfermé avec les effluves
cave tabac chaume étable
avec le grand arrêt des siècles dont la rumeur
ranime les absents
je choisis la terre vive
limpide entre ses murs
où quelques fleurs s’écrivent
au bas d’une légende pauvre
SECTION POÈMES DE LA RECLUSE
1
Tu as vécu dans notre appel
dans notre écho
seule aux croisées des tempêtes
lucide et limpide
entre les lourdes portes
qui voulaient nous happer
tu voyais passer les gardiens de la terre
ta jeunesse avançait de conserve
illuminée, scarifiée
enluminée, embourbée
puis forte sur son erre
2
La maison seule a toutes ses fleurs
et celle qui les fait vivre
quel est son soleil
quels sont ses visages
le village enneigé
où elle trouvait à aimer
où sa vie hésitait
entre les miroirs d’exil
et les voix de naissance ?
Où est la ville
qui noyait son espoir
d’un coup de crépuscule ?
Où est l’appel matinal
si longtemps resté clair ?
3
Celle qui reste seule
n’a que peu de visages à aimer
un jour quelques jours quelque temps
il y eut un soleil
presque accordé
mais quel désert
depuis les villages ensoleillés et froids
et la retombée dans la cour aux brèves échappées
la mémoire d’années
bâties de quelques belles pierres
que l’on espère voir grandir
la furtive compagnie
de la plus haute vie
voie du sang voie de la longue enfance
sur l’indissociable chemin
4
Le vent de mars
blesse le regard
le ciel fait un bouquet de l’immense taillis
la courbe du soleil
vise comme Héraklès la gloire de l’espace
mais l’hiver talonne refuse
de faire étrave du futur
de déchiffrer les glissements de l’horizon
de pulvériser d’or le bûcher de vieux bois
rien ne parle
nul n’a revu
la recluse en sa demeure
les premiers gestes du jardinier peut-être
desserreront ses lèvres et son front
Gilles Lades, extraits de
Le poème recommencé
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- Photographie de Gilles Lades (bas de page).
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Article de Michel Baglin sur Le
poème recommencé, publié dans la revue en ligne Texture
Comme toujours chez Gilles Lades, auteur d’une œuvre en prose et poétique abondante, on entre dans des paysages (ceux du Lot notamment),
par la marche, « avide » de lumières et d’impondérable. Il y a toujours un « oiseau qui chante espiègle dans l’invisible », mais « l’idée de l’abîme »
reste bien présente. On est au monde, attentif à ses moires, mais aussi le regard en dedans, habité de nostalgies, et hantés par les êtres aimés disparus, les absents, « les silencieux ».
Ainsi,
« le timbre intime de la voix » que cherche le poème a-t-il les résonnances d’une « avide solitude » ressourcée à une faim du monde jamais assouvie. On avance, habité de « questions
sévères et salvatrices », sur des « chemins perdus », vers des « visages enfuis », en même temps que vers la lumière du jour, la poitrine gonflée de « gratitude ».
La mélancolie n’est pas repli sur soi mais source d’énergie, moteur d’une quête. Le « chemin brouillé de peine » ne cesse jamais de faire « pacte avec l’immense ».
Ce serait donc cela, « le poème recommencé » qui donne son titre à la dernière des cinq parties du recueil comme à l’ensemble : un perpétuel effort pour faire coïncider « ces
niches d’absolu qu’on emmène avec soi » avec les rencontres multiples qu’on s’offre lors de ses approches du monde extérieur.
Passé et présent se nouent ainsi : il s’agit simplement
de « laissez la mémoire / devenir la vie comprise ». Au-delà de la paix des larmes, il s’agit toujours de conquérir :
« un jour encore
un jour
à regarder la paix monter de l’immobile
à greffer chaque instant sur toute la mémoire
à laisser la solitude s’épuiser
jusqu’à la bienveillance »
Un beau recueil qui confirmerait s’il en était besoin l’authenticité
d’une voix discrète.
Le poème recommencé, Gilles Lades
20,00€ (+ forfait port et emballage : 4,00€)
PAYS PERPÉTUEL, GILLES LADES
EDITIONS ALCYONE (COLLECT. SURYA)
Gilles LADES est né en 1949 à Figeac. Professeur de Lettres, il a été amené à se déplacer dans plusieurs régions de France, sans que se distendent les liens qui l’unissent à sa région d’origine, le Quercy. Son goût pour les voyages et la découverte de nouveaux lieux a toujours été vif. Il fait partie du comité de rédaction de la revue Encres Vives, après avoir longtemps participé aux travaux de la revueFriches. Prix Froissart 1987 et Antonin Artaud 1994.
Il a publié de nombreux recueils depuis 1977, notamment: LE CHEMIN CONTREMONT, Hautécriture, 1990, LA MOITIÉ DU SYMBOLE, Rougerie, 1997, LENTE LUMIÈRE, l’Amourier, 2001, PERSONNE PERDUE, Gros Textes, 2007, PORTAILS DE CHARENTES, Editions de l’Atlantique, 2010, TÉMOINS DE FORTUNE, L’Arrière-pays, 2010, LE POÈME RECOMMENCÉ, éd. Alcyone, 2018, REPAIRES DU REGARD, Encres Vives, 2019, OUVRIÈRE DURÉE, Le silence qui roule, 2021.
Il a également publié une pièce de théâtre (TOUT AUTOUR DU SILENCE, Caractères, 1977), des récits, des contes, des études de paysages.
**
Le pays est ici un territoire familier, vaste et circonscrit, que le regard parcourt, scrute, interroge jour à jour, semaine après semaine, mois par mois. L’approcher, le saisir, n’est possible que grâce aux ressources de l’imaginaire, aux profondeurs de la mémoire, aux liens intimes avec cet horizon. Découvrir et redécouvrir ce pays-paysage, ce pays-monde - harmonie et beauté, tragique et nécessité - fait fusionner l’intériorité et le présent des choses.
Ce pays, qui se renouvelle à mesure que nous tentons de le saisir, et dont nous savons que nous le retrouverons au bout de son cycle, le même et différent, nous remplit de certitude tout en nous laissant démunis. Pèlerins du beau et du réel - émotion, concret, vision - , nous foulons le sol et le ciel de la terre, sur la crête de l’instant.
TEXTES
Vaste immobilité du monde
les arbres sont au plus haut d’eux-mêmes
l’idée du vent ne s’approche pas
les nuages ne veulent pas se déchirer davantage
ils donnent du bleu comme la fermière du grain
l’horizon s’ouvre des chemins
dans les haies tranchées comme des créneaux
une pente rase
invite à partager son domaine
avec tout l’espace et tout l’avenir
même l’absence des humains et des animaux
n’est pas un chagrin
car les pelages et le sang hibernent
au plus près de soi
Décembre
**
Ce sont de nouveaux bois
clôturés d’une mousse ensoleillée
un chemin plongeant
devient la liberté
quel autre but que le soir
attisé de nuit
l’immobile dresse une flamme étrange
le regard veut voir
par-delà les hameaux les troupeaux
un cercle de pierre et de buis
propose un instant la demeure
mais il s’agit d’aller
lorsque le cornouiller s’apprête
à donner la réplique au soleil
à prononcer la fin des arbres noirs
Février
**
Le ruisseau inscrit sa clarté
sur le val désert
son absence d’août
a fait place au miroir
clair comme une âme
au plus gris du rêve
le nuage s’écarte et la lumière
dénombre les rameaux
les taillis sont cernés
par des frissons de ronces
et le doré de quelques prés
la semaison solaire des cornouillers
sauvegarde l’année
ce qui se donne est sans témoin
comme l’étape du pèlerin
comme une lampe au milieu de la nuit
Mars
**
Le soleil descend
comme un épervier de beau temps
le silence est glorieux modeste et fort
les fleurs des arbres et de la terre ont le même langage
le bois en tas
prophétise des bonheurs d’hiver
même le chêne immense à contre-jour
ne montre plus que des jeunes feuilles
une nouvelle route invente la vallée
solitaire de splendeur
un troupeau brun et blanc occupe la lumière
que fait en fuyant le jour
le houx s’impatiente dans les fourrés
une grande semaison d’arbres
conjure les ravins
Avril
**
Le vent prend le cap du soleil
comme en l’écluse le bateau
attend le soleil d’amont
l’orage a glissé sur la nuit
les oiseaux n’en ont plus mémoire
leur chant
libre cristal de l’air
s’égale au solstice
la frondaison dorée
ignore les pistes reformées du sous-bois
un arbre très haut se courbe
comme l’athlète après la course
le soir veut durer
barque à lentes rames
sous la falaise des aïeux
l’on s’éloigne des prés fauchés
de l’arôme des buis survivants
c’est à ce prix qu’est le silence
l’abandon sous les portiques de la nuit
Juin
**
Ce lieu de nul passage
laisse l’abeille
te mesurer le temps
tu descends par virages
sans terme imaginé
alors qu’une ferme
parle d’égale vigueur et de blés alourdis
alors que des hameaux
remparent le plateau
l’absence te donne force
le vent parle à défaut de visages
la façade en surplomb dessine
l’élan qui ne meurt pas
descends
jusqu’à l’arche de pierre
que l’eau perça avant les hommes
descends
jusqu’au moulin dont la roue
enchante encore l’homme seul
Juillet
**
Quel insidieux manque d’eau
monte aux arbres par grappes dorées
feuilles rameaux fatigués d’être
première chute de la sève
une pluie triste comme après la fête
s’obstine à parsemer les gris
alors que des voix reprennent possession des lieux
la mousse redevient visible
comme le manteau des longs jours
accroché au versant d’où nul ne surgit
les rochers accèdent à leur lumière
depuis que la chaleur a déserté l’espace
ils tournent leur visage
au-devant du jeune aventuré
une infinie fraîcheur accueille ou congédie
selon que l’âme fait pacte avec la pierre
ou qu’elle s’éloigne sous les arbres
Septembre
**
Aujourd’hui est une autre lumière
immédiate et plénière
le rocher regarde au loin
comme un homme repenti
l’ombre l’a quitté
pour l’eau des résurgences
la force est en exil
et la journée se satisfait
des sèves affaiblies et des pierres candides
nul ne va d’une maison l’autre
comme si suffisait pour jamais l’horizon
les bois sont des jardins de stèles lumineuses
les ronciers s’attisent
une brise obstinée parcourt le soir
jusqu’au sommeil de l’équinoxe
le clandestin se hâte
devant l’obscur chemin des lampes
Octobre
**
Soleils chrysanthèmes
dans la campagne
le ciel
donne le roux sans fin
étrange et provisoire
des nuages mordent sur un pré
comme des fleurs sur la mémoire
un cheval seul interroge le hameau
l’harmonie des maisons
est veuve de regards
l’envie s’apaise
jusqu’à peut-être s’effacer
les humains font retraite
un lac dessine une montagne
avec la brume inépuisable
au loin
la route s’illumine de gloire et d’effroi
Novembre
Extraits de Pays perpétuel de Gilles Lades
©️ Editions Alcyone
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